Archives Lambda, Le projet du musée Munch à Oslo
LIVRE
À sa mort, Edvard Munch a légué l’ensemble de son œuvre à la ville d’Oslo afin qu’elle puisse être accueillie dans un nouveau musée. C’est ainsi que commence l’histoire du nouveau musée Munch à Oslo, qui a ouvert ses portes en octobre 2021.
Publié par les éditions Spector Books en partenariat avec arc en rêve dans le prolongement de l’exposition du même nom, Archives Lambda explore le processus de conception et de construction du bâtiment conçu par estudioHerreros. L’ouvrage plonge le lecteur dans les archives de l’agence espagnole, attirant l’attention sur des documents « administratifs », souvent négligés dans les publications d’architecture mais qui apportent un éclairage précis sur le contexte professionnel, politique, social et technique du projet. Entre les mains de ses auteurs, le nouveau musée devient le lieu d’exploration d’un certain nombre de préoccupations contemporaines, telles que le rôle des musées dans la réécriture de l’Histoire, la nécessité d’un dialogue avec les citoyens, l’engagement environnemental ou encore la responsabilité afférente à la réalisation de grands projets.
À travers estudioHerreros, avec son associé Jens Richter, Juan Herreros déploie une pratique globale, multidisciplinaire et engagée qui combine activité professionnelle, enseignement et recherche. Son travail a été largement récompensé, publié et exposé au niveau national et international dans de multiples institutions, dont le MoMA de New York, le musée Franz Mayer de Mexico ou La Virreina de Barcelone, ainsi que dans plusieurs biennales à Venise, à Istanbul, en Amérique latine et en Espagne.
Rencontre avec Juan Herreros
Le JDA avait rencontré Juan Herreros lors de la conception du projet du musée. Il évoquait les difficultés rencontrées lors de l’annonce de sa proposition, qui ont depuis pu heureusement être totalement surmontées.
Votre structure collaborative est-elle un prolongement de votre activité académique ?
Mon activité académique me permet de mettre en pratique l’écoute et la précision dans la transmission des critères que je cherche à élaborer. L’effort pour les rendre compréhensibles fait partie intégrante de cette élaboration. Mon activité académique me sert à éliminer de mon discours mental les éléments superflus, anecdotiques ou démagogiques de ma pratique de l’architecture devant la nécessité de transmettre avec efficacité et pragmatisme certains concepts. Il y a une perméabilité entre mon activité d’enseignant et celle du studio.
Je ne crois pas faire une architecture très conceptuelle en termes de contenus théoriques. C’est une architecture alimentée par une manière de penser conceptuelle qui vient de la nécessité d’inculquer une vision critique, par l’attitude de faire la distinction entre les aspects positifs et négatifs lors de l’élaboration d’un projet. C’est accepter que cette différenciation soit à la base de la conception, mais pas dans une logique de confrontation, mais au contraire en considérant qu’il s’agit des ferments de base du projet. Quand je dois choisir un matériau par exemple, ce n’est pas le matériau en tant que tel qui m’intéresse, mais les caractéristiques qu’il doit remplir. Souvent il faut inventer le matériau pour une situation donnée, il faut détourner le matériau de son utilisation usuelle.
Nous rêvons toujours d’une acceptation directe et immédiate de nos réalisations dans la ville. Cela traduit un désir de parvenir à s’immiscer de façon osmotique dans la vie des gens, au-delà que la satisfaction très éphémère de s’illustrer dans notre petit monde d’architectes et de revues d’architecture. Ma lecture d’un lieu cherche toujours à rénover l’idée du contextualisme pour qu’elle ne soit pas nostalgique, pittoresque ou ne dépende pas de soi-disant qualités existantes qui sont toujours le fruit d’une lecture à priori qui dépend des circonstances, mais qui soit au contraire riche en propositions et en intentions.
C’est une intention qui s’illustre tout particulièrement dans votre proposition de musée pour la capitale norvégienne…
A Oslo, nous avons vécu un épisode de confrontation entre différentes opinions. L’aspect le plus dramatique de cette confrontation a revêtu une composante très médiatique. Ceux qui exercent leur droit à la critique parlent généralement plus fort que les personnes favorables au projet. Le Musée Munch a été appuyé sans réserve par tous les secteurs proches de l’art et de l’architecture, et aussi par les politiques, qui imaginent qu’avec ce projet Oslo va pouvoir acquérir une dimension internationale et sortir de son isolement. Certaines forces, généralement liées à la protection du patrimoine, se sont opposés au projet en raison de sa hauteur, de sa dimension et de sa contemporanéité ; alors que le musée est un instrument orienté vers le futur pour comprendre la ville et lui être complémentaire. C’est la confrontation entre des attitudes conservatrices et un positionnement plus prospectif orienté vers l’avenir. Une querelle qui est lié à l’existence de catégories morales qui n’ont plus de valeur aujourd’hui, mais qui continuent à avoir de l’importance pour certains parce qu’elles représentent des lieux communs qui leur évitent toute justification conceptuelle. Le patrimoine est un fait, il est donc beaucoup plus facile à défendre. Nous n’avons pas seulement la responsabilité de veiller à l’histoire de nos villes, nous avons aussi le devoir de l’enrichir. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une architecture médiocre qui serait uniquement le fruit de processus de discussions sans fin, d’un consensus. L’architecture qui parvient à traverser les filtres de ces mécanismes de concertation est une architecture hybride, une architecture en souffrance. Le risque de ne pas plaire à tout le monde, ce délicat mélange entre singularité et acceptation est ce qui fait avancer l’architecture.
Propos recueillis par Nicolas Houyoux