Table ronde "le futur du secteur de la construction en période d'inflation" - Quatre défis majeurs
Quelle est la situation du secteur de la construction en cette période d'inflation ? Quels sont les enjeux ? Et comment les clients finaux pourront-ils aménager leur maison pour atteindre les objectifs énergétiques imposés d'ici 2050 ? Des acteurs clés du secteur de la construction et du logement, ainsi que Charlotte de Montpellier, économiste chez ING, se sont réunis autour d'une table virtuelle en quête de réponses à ces interrogations.
- Une feuille de route claire pour le client est indispensable
- Les personnes à faibles revenus reportent les rénovations par manque de fonds
- La recherche de bons profils reste un challenge majeur, souvent une formation complémentaire est nécessaire
L'économiste Charlotte de Montpellier (ING) présente, à l'aide de graphiques, le contexte économique difficile dans lequel se trouve actuellement le secteur de la construction. Un des grands constats est que le secteur n’a toujours pas retrouvé son élan depuis la pandémie, il est toujours 5% inférieur à son niveau d'activité d’avant la crise. Force de constater que le secteur est aujourd'hui confronté à de nombreux vents contraires. Les prix de construction ont augmenté en moyenne de plus de 11 % en 2022, soit la plus forte hausse depuis 40 ans. Conjuguée à l'indexation automatique des salaires (10-11%), cette situation continue de créer une pression sur les prix pour les constructeurs, les entrepreneurs/installateurs et les clients finaux.
Par ailleurs, l’inflation ainsi que les taux d'intérêt des prêts hypothécaires pour les nouvelles constructions et les rénovations, ont également augmenté. Une tendance qui continuera en 2023. En raison de cette augmentation, le pouvoir d'achat immobilier a baissé de l'ordre de 6 %. Par conséquent, les particuliers reportent leurs projets de construction ou de rénovation, ce qui entraîne une baisse de commandes. 2023 sera clairement une année de transition pour le secteur de la construction avec une stagnation attendue (le taux de croissance de l'activité prévu est de 0%).
Il est clair que des défis doivent être relevés. Pour atteindre les objectifs de 2050, notre parc immobilier doit se transformer. Mais le coût actuel suscite des inquiétudes. Quelle conclusion en tirer ? Le Belge garde une brique dans le ventre mais n'est pas suffisamment préparé à l'évolution du marché. Les pouvoirs publics, le monde financier et le secteur de la construction doivent unir leurs forces pour soutenir le client final dans son projet de construction ou de rénovation. Daikin, hansgrohe et Skylux nous éclairent sur la situation.
1. Revenus élevés versus revenus faibles
Les maisons ayant un score énergétique A seront la norme en 2050, mais le parc immobilier actuel est vétuste avec des scores énergétiques oscillant entre E et F. Améliorer ces habitations pour atteindre le niveau le plus élevé, à savoir A, est coûteux étant donné la hausse des prix des matériaux de construction, de l'énergie et de l'indexation automatique des salaires. L'accessibilité à la propriété se détériore et l'écart entre les revenus élevés et les revenus faibles est indéniable. Les fabricants doivent également être en mesure de répondre à la demande.
"Le secteur est confronté à un défi", commence Lieven Verstaen, Manager product management & training chez Daikin. "Il y a une évolution vers des énergies renouvelables pour se détacher des énergies fossiles. Pouvoir disposer d'une capacité de production adéquate est un enjeu important qui n'est pas une évidence aujourd'hui. Tout le monde est à la recherche d'une solution rapide pour réduire ses factures d'énergie. Mais l'industrie ne peut pas changer du tout au tout du jour au lendemain. La demande de pompes à chaleur a doublé en un an. La livraison en temps et en heure reste un défi quotidien. Actuellement, nous investissons dans une importante usine destinée uniquement aux pompes à chaleur résidentielles, mais nous ne pourrons en récolter les fruits que dans deux ans."
Chez Skylux, les difficultés sont moindres car elles sont traitées plus en amont du processus de construction. "Nous faisons partie de la solution globale de la toiture. Lorsque le client final choisit de rénover sa toiture, il inclut les dômes pour rendre sa toiture entièrement performante sur le plan énergétique. Les personnes qui ont les moyens ne reportent pas leurs projets de construction ou rénovation. Ce sont surtout les personnes à faibles revenus qui sont à la traîne", ajoute Michel Francisse, représentant Benelux.
Les ménages à faibles revenus ont particulièrement du mal à se lancer dans une rénovation énergétique. Beaucoup d'entre eux ne peuvent tout simplement pas se le permettre sur un plan financier. Le gouvernement et le monde financier jouent un rôle important à cet égard.
2. Passer d'une réflexion à court terme à une réflexion à long terme
Selon Michel Francisse de Skylux, le gros problème est l'absence d'une feuille de route claire et de confiance, surtout pour les jeunes propriétaires. "Les gouvernements ont déjà partiellement abordé cette question, mais nous pensons qu'il est vital pour le client final d'être informé de manière claire afin de savoir comment entreprendre. Le fait que la première étape soit l'enveloppe du bâtiment n'est pas encore une évidence pour tout le monde. Dans un projet de rénovation, il y a trop souvent un syndrome de blocage. Les gens entreprennent des rénovations sur plusieurs années. Ils ont abordé une phase et, des années plus tard, ils arrivent à la conclusion qu'ils auraient dû aborder cette phase différemment pour répondre aux normes. Ils pensent plutôt en termes de budget et de court terme sans se demander où ils veulent aller. Notre conseil : envisagez le long terme et soyez bien conseillé."
Lieven Verstaen de Daikin partage également cet avis. "Les prix de l'énergie sont devenus hors de contrôle. Les gens cherchent frénétiquement des moyens de réduire leurs factures d'énergie. Ils entendent dire que les pompes à chaleur sont efficaces sur le plan énergétique et choisissent ensuite de remplacer leur chaudière à gaz. Cette approche doit être revue car, dans la pratique, le passage au nouveau système est une tâche bien plus complexe. Suivez un plan étape par étape, attaquez-vous à l'enveloppe du bâtiment, puis examinez les systèmes d'alimentation. Daikin a mis en place un outil en ligne pour vérifier si une habitation est prête à installer une pompe à chaleur".
3. La situation économique restera-t-elle tenable dans le secteur de la construction ?
“En Belgique nous ne constatons actuellement pas de détresse financière anormale des entreprises du secteur de la construction. Depuis la crise COVID, nous avons remarqué un retour à la normale en termes de faillite et d’activité. Maintenant, nous restons attentifs aux perspectives du secteur pour 2023. Cette nouvelle année soulève de nombreuses questions sur la situation future, avec probablement un affaiblissement de la demande”, déclare Charlotte de Monptellier, économiste chez ING.
Pour les fabricants, l'indexation automatique des salaires et l'augmentation des matières premières ont également un impact. "Évidemment, nous avons également dû appliquer des augmentations de prix pour rester en bonne santé", déclare Lieven Verstaen, de Daikin. "De plus, c'est une situation difficile pour les installateurs et les entrepreneurs vis-à-vis du client final. La compétitivité du marché joue aussi un rôle. Différents facteurs sont mis en balance pour garantir un prix abordable au client final et rester prospère en tant qu'entreprise."
"Il y a effectivement deux tendances", affirme Michel Francisse. "D'un côté une entreprise doit rester concurrentielle et de l'autre on ne peut pas ignorer les augmentations de prix. Mais jusqu'où le client final est-il prêt à aller ? Il s'agit de trouver un équilibre entre les coûts que nous répercutons et ceux que nous ne répercutons pas. Nous avons bien terminé l'année 2022 et nous espérons faire de même en 2023”.
"Pour tenir compte de l'innovation, de la R&D et de la hausse des prix des matières premières, il est nécessaire d'ajuster les prix de vente. Or, nous observons deux tendances : la demande croissante de produits moins chers et, parallèlement, la demande croissante de personnalisation ainsi que la demande croissante également des produits de luxe. L'écart entre les deux se creuse", déclare Steven Verraes, directeur du marketing chez hansgrohe.
"Le client final n'est pas toujours au courant de toutes les augmentations de prix", ajoute Lieven Verstaen. "Celui-ci cherche plutôt à savoir où il investit ses économies en premier. L'indexation automatique des salaires est une mesure positive à cet égard : le pouvoir d'achat est protégé et l'économie est relancée".
4. La guerre des talents
Si certaines entreprises ont dû geler leurs recrutements en raison de l'indexation automatique des salaires, ce n'est manifestement pas le cas chez Daikin, hansgrohe et Skylux.
"Skylux est une entreprise en pleine mutation. Nous passons actuellement à un processus d'automatisation de notre production et nous recherchons du personnel pour cette évolution. Cependant, il est difficile de trouver des personnes qualifiées. Nous recherchons des profils techniques/ informatiques mais il y a une pénurie sur le marché. Le principal problème est la formation, le vivier se réduit malheureusement", souligne Michel Francisse.
Daikin aussi recherche de nombreux talents pour continuer à garantir des services de qualités. "Nous envisageons même de recruter des profils RH supplémentaires afin d’attirer les bonnes personnes. Nous recherchons des profils hautement qualifiés en informatique par exemple,” souligne Lieven Verstaen. Chez hansgrohe, la situation n'est pas différente. "La demande de recrutement est parfois huit fois supérieure par rapport au marché du travail. Une autre difficulté du marché de l’emploi dans le secteur de la construction, est de trouver des candidats qui maîtrisent les deux langues nationales", conclut Steven Verraes de hansgrohe.
L'insuffisance de la main-d'œuvre rend encore plus difficile la poursuite des objectifs de 2050. Charlotte de Montpellier esquisse le contexte : "Le taux de chômage en Belgique est actuellement assez bas et le nombre d’emplois vacants dans tous les secteurs est assez élevé. Le marché de l’emploi est donc assez tendu, ce qui complique le recrutement. Le vieillissement de la population joue un rôle dans cette situation, le nombre de personnes partant chaque année à la pension étant plus élevé que le nombre de jeunes entrant sur le marché du travail. Malgré le ralentissement de l’économie, les difficultés de recrutement risquent de rester présentes dans les prochaines années".
Toutefois, les fabricants ne restent pas les bras croisés. Ils créent eux-mêmes des académies où ils peuvent former et améliorer les compétences des installateurs, des couvreurs et des jeunes en fin de scolarité. En offrant une formation complète, ils assurent le passage à des profils plus techniques, plus adaptés aux réalités du secteur. Bien que cela ne puisse pas dépendre uniquement d'eux. Le gouvernement aussi devra apporter sa pierre à l'édifice.
Perspectives d'avenir
Toutes les parties autour de la table s'accordent sur la même conclusion : satisfaire le client final. Tous terminent la conversation en se tournant vers l'avenir.
Charlotte de Montpellier, de ING, commence par des propos rassurants : "Les taux d'intérêt sont probablement proches de leur sommet et vont se stabiliser cette année. L'indexation automatique des salaires améliorera également le pouvoir d'achat."
"En raison de l'incertitude économique, les budgets de rénovation et construction sont plus analysés que jamais. Cependant, même si le prix est un facteur important de décision, la volonté de rénovation ou de construction persiste. L'année 2023 ne sera pas une année faste. La prudence est de mise mais le Belge continue d'avoir une brique dans le ventre. C'est dans notre ADN d’être propriétaire de son habitation. De plus, il existe des solutions d'efficacité énergétique pour tous", conclut Michel Francisse de Skylux.
Lieven Verstaen de Daikin termine par: “Notre message aux acheteurs finaux est le suivant : pensez à la valeur de revente de votre habitation. Les coûts actuels deviendront un investissement intelligent à long terme. Mais il reste du travail d'information. Le client final ne sait pas toujours quelle est la meilleure façon de procéder. Le gouvernement devra trouver des solutions. Mettre encore plus en valeur les conseillers en énergie pour aider encore mieux le particulier. La rénovation n'est pas un processus uniforme".
"L'inflation de ces dernières années nous a montré la voie vers un avenir plus respectueux de l'environnement. Les produits permettant d'économiser l'eau et l'énergie existent depuis des années, mais la crainte de sacrifier le confort était trop grande, alors que ce n'est pas du tout le cas. En innovant et en adaptant notre comportement de consommation, chacun peut contribuer à la réalisation des objectifs climatiques tout en faisant des économies", souligne Steven Verraes de hansgrohe.
Le secteur de la construction a une chance énorme de pouvoir participer à la transition énergétique à long terme. Cependant, il s'agit de travailler ensemble. Le gouvernement doit sensibiliser et mettre en place des campagnes d'information adéquates. En collaboration avec le secteur financier, des outils devront être fournis pour soutenir les ménages dans leur processus de construction ou rénovation. Le défi est de taille, nous devons donc unir nos forces pour construire un avenir durable ensemble.